Histoire du TS

Histoire du TS

L'idée d'un Tribunal Supremo de Justicia ne surgit pas à un moment donné de l'histoire de notre nation, car nombreux ont été les aléas ayant donné lieu à ce Tribunal. Un survol rapide de l'histoire nous révèle que tous les pouvoirs publics, dont celui de la justice, étaient initialement concentrés en la personne du monarque. Le Roi légiférait, appliquait et exécutait ses dispositions, sans autre limite que celle que lui-même voulait bien s'imposer, et administrait la justice en y consacrant certains jours de la semaine pour se constituer, avec les membres de son Consejo (Conseil) et les Alcaldes de Corte (sorte de juges de la Cour), en audience publique.

Cette forme d'administration de la justice ne changera qu'à l'époque de la Reconquista (Reconquête). Le Fuero Juzgo (corpus législatif) tout comme le Code de Las Partidas recommandent la création d'une institution " pour que des hommes sages aident le Roi ". Cette pensée, recueillie par le Roi Alphonse XI et perfectionnée par Jean Ier, est mise en pratique par les Rois catholiques qui, avec la réunion d'organismes pour connaître des affaires de certains royaumes, constituent le " Real y Supremo Consejo de Castilla " (Conseil royal suprême de Castille), corps consultatif des Rois et instance suprême de justice, le prédécesseur de l'actuel Tribunal Supremo.

Parmi les anciennes lois qui ont instauré le Consejo de Castilla (Conseil de Castille), réglementant sa fonction et fixant les normes de ce qu'il devait être, il convient de signaler la " Novísima Recopilación " dont le Livre IV et les 30 Titres qu'elle contient offrent une connaissance suffisante de ce que fut ce haut tribunal, et dont le Titre IV, Loi 5 donnée par les Rois catholiques, Don Fernando et Doña Isabel, spécifie les attributions de cette haute institution, les affaires qu'elle connaissait et celles qui ne relevaient pas de sa compétence, déterminant ainsi sa juridiction.

Ce Conseil était régi par un " Presidente-Gobernador " (Président-gouverneur), avec trente " Ministros ", répartis en cinq " Salas " (Chambres) : Sala de Gobierno, Sala de Justicia, Sala de Provincia, Sala de Mil y Quinientos et Sala de Alcaldes. Parmi celles-ci, la Sala de Alcaldes était compétente pour connaître des affaires pénales en dernier appel, et la Sala de Mil y Quinientos des recours dits " recursos en nulidad " et des " recursos de segunda suplicación ".

Cette institution connaissait non seulement des affaires de Justice, mais également d'autres affaires à caractère administratif, avec une certaine tendance à assumer le plus haut degré de l'administration de justice, en intervenant dans les désignations, les inspections, en connaissant des demandes ou recours des Chancillerias et des Audiencias, et de la résolution de compétences, bien qu'elles demeurent diffuses entre les attributions d'Alcaldes et de Corregidores, puisque ces deux fonctions sont intimement liées à l'Autorité royale. Tel était le statut juridique du plus haut tribunal de la nation jusqu'au début du mouvement constitutionnel en Espagne.

La Constitution de Cadix

L'influence des philosophes français et les théories juridiques modernistes de droit public de l'époque sur l'organisation et l'équilibre des pouvoirs de l'État se sont reflétées dans la Constitution de Cadix de 1812, le fondement de l'actuel Tribunal Supremo.

Le rapport de la Commission chargée de la formation du Projet constitutionnel consignait les objectifs qui mèneraient à sa création : séparer, comme il était juste et conforme à des principes justes, les affaires administratives dispersées dans les différents organismes suprêmes et les porter au Consejo de Estado (Conseil d'État) ; veiller à ce que les magistrats ne soient aucunement distraits de leur auguste ministère et maintenir la séparation des facultés propres et caractéristiques du pouvoir judiciaire.

Le paragraphe XVL de ce rapport mémorable contient le raisonnement de la création du Tribunal Supremo: " Le pouvoir d'appliquer les lois étant délégué par la Constitution aux tribunaux, il est indispensable d'établir, pour qu'il y ait système, un centre d'autorité où se réuniraient toutes les ramifications du pouvoir judiciaire. De la même manière, un Supremo Tribunal de Justicia est institué dans la Cour, pour constituer ce centre commun. Ses principales attributions doivent être celles de l'inspection suprême de tous les juges et tribunaux chargés de l'administration de justice ".

La promulgation et le serment à la Constitution ont lieu le 19 mars 1812 ; le 17 avril suivant, un Décret instaure le Tribunal Supremo mais la guerre d'indépendance et le siège de la ville de Cadix empêcheront la mise en oeuvre de la nouvelle structuration constitutionnelle de la justice.

Avec le repli de l'envahisseur, selon les documents de l'époque, les Cortes de Cadix sont transférées à Madrid, cette fois avec le caractère d'ordinaires, et se réunissent le 15 janvier 1814 dans le théâtre dit " de los Caños del Peral " ; poursuivant leur activité de réforme, elles approuvent le Règlement du Supremo Tribunal de Justicia à travers le Décret du 13 mars 1814, qui ne sera pas appliqué, en raison de l'instabilité politique et parce que le premier acte de gouvernement du roi Ferdinand VII " le désiré " à son retour d'exil est l'abrogation de la Constitution et de tous les décrets des Cortes, par le " Manifiesto de Valencia " du 4 mai 1814. Il marque le retour aux Consejos Reales et à la confusion des pouvoirs administratif et judiciaire en tant que pouvoirs émanant du Pouvoir royal.

La victoire de Riego marque le début du " Trienio Constitucional ", qui oblige Ferdinand VII à prêter serment sur la Constitution de 1812 et à convoquer les Cortes Unicamerales, qui développeront une activité législative parallèle aux Cortes de Cadix. Durant cette période, les anciens Consejos de la Corona sont abolis et le Supremo Tribunal de Justicia rétabli.

En 1823, avec la nouvelle chute du constitutionnalisme, Ferdinand VII déclare, à travers le Décret royal du 1er octobre, la nullité de tous les actes de gouvernement émis depuis le 7 mars 1820, rétablissant ainsi le Consejo de Castilla, jusqu'à ce qu'en 1834, la reine Isabelle II supprime les anciens Conseils d'Espagne et des Indes, et instaure le Tribunal Supremo à travers le Décret royal du 24 mars. Celui-ci se compose alors de trois Salas (Chambres), l'une chargée des affaires d'outre-mer et qui reçoit le nom de Tribunal Supremo de España e Indias, les deux autres sont le Tribunal Supremo de Guerra y Marina et le Tribunal Supremo de Hacienda ; le Consejo de Castilla disparaît ainsi définitivement.

Le 26 septembre 1835, le Règlement provisoire de l'administration de justice divise le Tribunal Supremo de España e Indias en trois Salas, deux pour la Péninsule et les Îles adjacentes et une troisième pour l'outre-mer, composées de quinze magistrats ; ceux des deux premières Salas exercent tour à tour chaque année. Ce Règlement favorisera l'unité de la procédure, en mettant fin aux pratiques et coutumes de chaque tribunal et en imposant des actes gratuits au détriment des taxes ; il limite le libre arbitre abusif du juge, notamment en matière pénale, intensifie l'inspection des différents degrés de l'administration et intensifie le travail des magistrats en élevant le nombre de voix nécessaires pour rendre des décisions.

Le Titre V du Règlement de 1835 attribue au Tribunal Supremo de España e Indias la connaissance en première et deuxième instances de certaines causes pénales ou sur des juridictions de domaines seigneuriaux et dîmes qui relevaient autrefois du Consejo de Castilla ; toutefois il est dépourvu de normes en matière de récusations, délais de comparution et spécifications sur les recours et les affaires qui restaient hors de la juridiction ordinaire, comme les affaires ecclésiastiques, militaires, etc..

Le nouvel aménagement organique et procédural de 1835 est complété par les " Ordenanzas para las Audiencias " du 19 octobre de cette année et par le " Reglamento de los Juzgados de Partido ", après avoir surmonté les difficultés des circonscriptions, aggravées par les droits acquis des Escribanos (greffiers) titulaires, dont beaucoup jouissaient d'un droit de succession.

La réglementation de ce tribunal se poursuit progressivement dans les années suivantes ; ainsi, un Real Orden - non publié - du 15 août 1836 change le nom du TRIBUNAL SUPREMO DE ESPAÑA E INDIAS pour celui de TRIBUNAL SUPREMO DE JUSTICIA, nom que lui donnait la Constitution de 1812.

Entre 1840 et 1858, aucune année ne s'écoule sans qu'une disposition soit dictée sur l'organisation du Tribunal, l'une des plus intéressantes étant la Loi du 16 juin 1841, qui met fin aux privilèges des Tribunaux de Navarre, lesquels seront désormais subordonnés au Tribunal Supremo.

Le Tribunal Supremo et les Audiencias Provinciales

Le Décret royal du 5 janvier 1844 crée au sein du Tribunal Supremo et des Audiencias Provinciales, les Juntas Gubernativas, chacune formée par le Presidente (président) du tribunal respectif, les Presidentes de Sala (présidents de chambre) et le Fiscal (procureur) du Tribunal. Cette disposition supprime en outre le roulement annuel des magistrats de chaque Sala et les postes vacants sont couverts par des magistrats dotés d'une nouvelle affectation.

De nombreuses dispositions de l'époque sont destinées à exalter la Magistrature et à renforcer son prestige, comme le Real Orden du 20 avril 1844, qui crée le " Gran Collar de la Justicia " (grand collier de la justice), destiné au Président du Tribunal Supremo, pour l'exalter et lui conférer le signe distinctif de la plus haute hiérarchie judiciaire.

Un Décret royal du 22 octobre 1853 crée les Secretarios de Gobierno de los Tribunales (greffiers en chef), remplaçant les Relatores (rapporteurs) de la Sala de Gobierno.

En 1854, le Décret royal du 17 janvier supprime la Sala de Indias et ordonne de partager ses affaires entre les deux autres Salas, mais elle est immédiatement rétablie jusqu'à la Ley Provisional (Loi provisoire) de 1870.

En 1863, trois projets sont soumis au Gouvernement : celui de la réforme de la cassation civile, concernant la procédure d'admission du recours ; celui de l'établissement du pourvoi en cassation en matière pénale, et enfin, celui de la réorganisation du propre Tribunal Supremo, avec un Président, cinq Vice-présidents et trente-et-un magistrats répartis en cinq chambres ou Salas : Sala de admisión en lo Civil, Sala de admisión en lo Criminal, Sala Primera, Sala Segunda et Sala Tercera. La Sala de Gobierno se compose du Président du Tribunal Supremo, des cinq Vice-présidents et du Fiscal (procureur). Dans ce dernier projet, la Sala de Indias disparaît et les fonctions de Relatores et Escribanos sont réunies en la personne des Secretarios (greffiers) de Sala.

Ces projets sont recueillis dans une Loi du 30 avril 1864 qui disposait que la Sala Primera se composait de deux Sections, avec un Président et huit magistrats chacune, et la Sala de Indias, composée d'un Président et de six " Ministros " avec les mêmes compétences antérieures.

La " Ley de Bases " du 11 avril 1868 autorise le Gouvernement à mener une réforme progressive de l'organisation des tribunaux ; le Tribunal Supremo présente ainsi la composition suivante : Un Presidente, quatre Presidentes de Sala, vingt-six Ministros, un Fiscal (procureur), un Teniente Fiscal (substitut du procureur) et ses subordonnés.

Les gouvernements qui succèdent à la Révolution de 1868 effectuent d'importantes réformes dans l'Administration de justice, dont :

Le Décret du 13 octobre 1868, qui renvoie à la juridiction ordinaire du Tribunal Supremo la connaissance des affaires du contentieux administratif, en créant une Chambre pour en connaître et supprime la Sección de lo Contencioso del Consejo de Estado (Section du contentieux administratif du Conseil d'État), qui en connaissait jusqu'alors.

Le Décret-loi du 6 décembre de cette même année, qui supprime les fors spéciaux, restitue à la juridiction ordinaire les causes civiles et pénales dont connaissaient les Tribunaux ecclésiastiques, refonde au sein du Tribunal Supremo le " Tribunal de las Ordenes Militares " (Tribunal des ordres militaires), qui retrouvera bien plus tard sa propre juridiction, et met fin aux " Tribunales de Comercio y Hacienda ".

Ces réformes sont couronnées par l'approbation de la Ley Provisional de Organización de Tribunales (Loi provisoire sur l'organisation des tribunaux) du 15 septembre 1870, dont le Titre I, Chapitre V, dispose que le Tribunal Supremo sera composé d'un Président, de quatre présidents de chambre et de vingt-huit magistrats. Il y aura une Sala de Gobierno et quatre Salas de Justicia : la première en matière civile, la seconde pour l'admission en matière pénale, la troisième de cassation en matière pénale et la quatrième pour les recours contre l'Administration publique. Chaque chambre se compose de son président et de sept magistrats. Le Chapitre VI, Titre VI, réglemente les compétences des Salas, qui connaîtront des questions de compétence, des " recursos de fuerza " (appels comme d'abus), " recursos de queja " (recours en plainte) et pourvois en cassation pour vice de forme et infraction à la loi. Le Tribunal siégeant en assemblée plénière (Pleno), en unique instance et en audience orale et publique connaîtra de causes contre les ministres, président des Cortes, président du Tribunal Supremo ou présidents de chambre, magistrats du Tribunal ou des Audiencias et des magistrats de chambre .

En 1875, une Loi du 20 janvier confie de nouveau au Consejo de Estado (Conseil d'État) la juridiction du Contentieux administratif qui, par la suite et en vertu de la Loi du 4 avril 1904 et du Décret royal du 8 mai suivant, sera de nouveau attribuée à ce Tribunal Supremo.

Réorganisation du TS

Avec la République, le Décret du 6 mai 1931 réorganise le Tribunal Supremo en cinq Salas (chambres) : première : en matière civile ; deuxième : en matière pénale ; troisième et quatrième : contentieux administratif ; et cinquième : matière sociale.

La Constitution de 1931 crée une sixième chambre dite " Sala Sexta de Justicia militar " (justice militaire) qui assume les compétences du Consejo Supremo de Guerra y Marina.

L'actuelle Constitution de 1978 consacre son Titre VI au Pouvoir judiciaire et son article 123 au Tribunal Supremo, et le reconnaît comme la juridiction suprême de tous les ordres, dont la juridiction s'étend à toute l'Espagne ; son Président est nommé par le Roi sur proposition du Conseil général du pouvoir judiciaire espagnol, en la forme prévue par la loi.