Note d’information 1

Auteur
Comunicación Poder Judicial

Condamnations 

Dans le cadre de l'affaire dénommée « processus », la Cour suprême a condamné Oriol Junqueras à 13 ans d’emprisonnement et à 13 ans d’interdiction absolue ainsi que Raül Romeva, Jordi Turull et Dolors Bassa aux peines de 12 ans d’emprisonnement et de 12 ans d’interdiction absolue, dans les quatre cas pour cause de délit de sédition et de délit de détournement de deniers publics aggravé en raison de la somme en faisant l’objet, ayant été le moyen nécessaire à la commission du premier.  

Pour cause de délit de sédition, la Cour condamne également Carme Forcadell aux peines de 11 ans et 6 mois d’emprisonnement et d’interdiction absolue d’une durée équivalente ; Joaquim Forn et Josep Rull aux peines de 10 ans et 6 mois d’emprisonnement et de 10 et 6 mois d’interdiction absolue ainsi que Jordi Sánchez et Jordi Cuixart aux peines de 9 ans d’emprisonnement et de 9 ans d’interdiction absolue. 

En ce qui concerne Santiago Vila, Meritxell Borràs et Carles Mundó, chacun a été condamné, à titre d’auteur d’un délit de désobéissance, aux peines de 10 mois d'amende à raison de 200 euros par jour et d’un année et 8 mois d’interdiction spéciale. 

L’arrêt acquitte les accusés Joaquim Forn, Josep Rull, Santiago Vila, Meritxell Borràs et Carles Mundó du délit de détournement. 

L’arrêt expose, entre autres arguments et bases juridiques, les suivants: 

Il n’y a pas eu rébellion 

La Chambre considère que l’existence de violence a été prouvée. Mais la constatation d’épisodes de violence indéniables n’est pas suffisante pour affirmer que les faits sont constitutifs d’un délit de rébellion. Porter un jugement de qualification en répondant par un monosyllabe à la question de l’existence ou de l’inexistence de violence implique un réductionnisme analytique auquel cette Chambre - bien que ce discours se soit développé dans d'autres domaines - ne peut pas souscrire. La violence doit être une violence instrumentale, fonctionnelle, ordonnée de façon préalable et directe, sans étapes intermédiaires, aux fins motivant l’action des rebelles. Et c’est ici que nous rencontrons - encore dans le cadre de la définition légale objective du délit - un autre obstacle à l’affirmation du jugement de qualification. Nous parlons bien évidemment de l’insuffisance absolue de l'ensemble des actions prévues et menées à bien aux fins d’imposition de fait de l’indépendance territoriale effective et d’abrogation de la Constitution espagnole sur le territoire catalan. En d'autres termes, il s'agit de violence ayant pour but d'aboutir à la sécession, pas de violence visant à créer un climat ou un contexte dans lequel une négociation ultérieure soit plus viable. 

Une décision de la Cour constitutionnelle a été suffisante pour priver les instruments juridiques que les accusés avaient l’intention de rendre effectifs de leur caractère exécutoire immédiat. Et la conspiration a été définitivement interrompue au moyen de la simple présentation de certaines pages du Journal officiel de l’État, portant publication de l’application de l'article 155 de la Constitution à la communauté autonome de la Catalogne. Ce fait a provoqué la fuite soudaine de certaines des personnes poursuivies. Les accusés qui ont décidé de rester - soit en raison d’une décision personnelle, soit de l'efficacité des mesures de placement détention provisoire adoptées - se sont désistés inconditionnellement de l'aventure dans laquelle ils s’étaient engagés. Les dispositions de cette règle constitutionnelle ont de surcroît été appliquées normalement dès le début, dans la mesure où le Gouvernement espagnol a été autorisé par le Sénat. 

La Chambre considère que l'exclusion du délit de rébellion est justifiée, non seulement pour des raisons objectives associées au manque de fonctionnalité de la violence, mais aussi pour des raisons subjectives: 

Tous les accusés faisant à présent l’objet de poursuites étaient conscients du manque de viabilité juridique manifeste d’un référendum d’autodétermination qui se présentait comme le moyen de construction de la République catalane. Ils savaient que la simple approbation d’énoncés juridiques, entrant ouvertement en contradiction avec les règles démocratiques prévues pour la réforme du texte constitutionnel, ne pouvait pas conduire à un espace de souveraineté. Ils étaient conscients du fait que ce qui était offert aux citoyens catalans en tant qu’exercice légitime du droit à décider, n’était autre chose qu’un leurre pour une mobilisation qui n’aboutirait jamais à la création d’un État souverain. Sous un droit à l’autodétermination imaginaire se cachait le souhait des leaders politiques et associatifs de faire pression sur le Gouvernement de la Nation pour la négociation d’une consultation populaire. Les citoyens, qui croyaient avec espoir qu’un résultat positif du dénommé référendum d’autodétermination conduirait à l’horizon espéré d’une république souveraine, ignoraient que le droit de décider avait changé pour devenir un droit de faire pression atypique. Malgré ce fait, les accusés ont favorisé un réseau juridique parallèle à celui en vigueur et ont encouragé un référendum sans aucune garantie démocratique. Les citoyens ont été mobilisés pour prouver que les juges en Catalogne avaient perdu leur capacité juridictionnelle et ont été, en outre, exposés à la contrainte personnelle au moyen de laquelle le système juridique garantit l'exécution des décisions judiciaires. 

Malgré le déploiement rhétorique de ceux qui ont été accusés, il est vrai que du point de vue des faits, les actes conçus pour que l’indépendance promise devienne une réalité n’étaient manifestement pas viables. L’État a maintenu à tout moment le contrôle de la force, militaire, policière, juridictionnelle et même sociale. Et il l’a maintenue en transformant le projet indépendantiste éventuel en une simple chimère. Les accusés étaient conscients de ce fait. L’État a donc agi en qualité de seul dépositaire de la légitimité démocratique, pour garantir l’unité souveraine dont celle-ci émane. 

La définition légale du délit de rébellion provient de la mise en danger des biens juridiques mentionnés à l’article 472 du Code pénal. Mais ce risque - nous insistons - doit être réel et pas un simple rêve de l'auteur ou un artifice trompeur créé pour mobiliser des citoyens qui ont cru assister à l’évènement historique de la fondation de la république catalane et avaient en réalité été appelés à titre d'acteurs tactiquement essentiels pour atteindre les objectifs réels des auteurs. L’évènement participatif présenté par les accusés aux citoyens à titre de véhicule pour l’exercice du droit de décider - formule juridique adaptée du droit à l'autodétermination- n’était autre que la formule stratégique de pression politique que les accusés avaient l’intention d'exercer sur le Gouvernement de l’État. 

Les accusés savaient, dès le moment même de la conception indépendantiste, qu’il n’existe aucun cadre juridique permettant d'aboutir à une sécession par simple voie de fait, sans autre soutien que celui d’une règlementation de rupture constitutionnelle perdant son efficacité à l’instant même de sa publication.  Les accusés savaient qu’un référendum sans aucune garantie de légitimité et de transparence lors du dépouillement des résultats ne serait jamais reconnu par des observateurs internationaux réellement impartiaux. Ils étaient conscients, finalement, du fait que la rupture avec l’État exige davantage que la répétition obstinée de consignes adressées à une partie des citoyens ayant naïvement confiance en la capacité de direction de leurs représentants politiques et en leur capacité de les conduire vers un nouvel État qui n’existe que dans l’imaginaire de ses promoteurs. (...) Des personnes poursuivies qui, en même temps qu’elles présentaient le référendum du premier octobre en tant qu’expression de l’exercice du droit à l’autodétermination authentique et inaliénable, expliquaient qu’en réalité, ce qu’elles voulaient était une négociation directe avec le Gouvernement de l’État.  La contradiction dans laquelle est plongé celui s'adressant aux citoyens en proclamant qu’ils ont accédé à leur propre espace de souveraineté et laisse immédiatement sans effet la déclaration d’indépendance pour retourner au point de départ et réclamer non pas l’indépendance, mais la négociation avec une entité souveraine dont il affirme s’être séparé, même si uniquement de façon temporaire pendant quelques secondes, est insurmontable. 

Délit de sédition 

La défense politique, individuelle ou collective de n’importe laquelle des fins énumérées à l’article 472 du C.P. - entre autres, abroger, suspendre ou modifier total ou partiellement la Constitution ou déclarer l’indépendance d’une partie du territoire national- n’est pas constitutive d’un délit. Par contre, le fait de mobiliser les citoyens afin de provoquer un soulèvement public et tumultueux empêchant en outre l'application des lois et entravant l’exécution des décisions judiciaires est constitutif d’un délit. Voici la portion d’infraction pénale prévue à l'article 544 du C.P. Il existe une relation de subsidiarité expresse entre les deux articles. Nous ne pouvons enfin pas nous approprier d’un principe d’insignifiance mal interprété reconduisant vers une impunité absolue des comportements qui, inutiles aux fins déterminant le délit de rébellion légalement défini, satisfont aux prévisions d'autres infractions pénales définies par la loi, tel que dans le cas en l'espèce, le délit de sédition. 

La Chambre met en évidence la nécessité de ne pas commettre l’erreur d’interpréter que l’ordre public à titre de référence systématique commune des délits visés au titre XXII du Livre II du Code pénal, empêche l’inclusion dans son domaine de comportements d’une gravité particulièrement importante.  D'ailleurs, certains des délits de terrorisme inclus sous la rubrique des délits contre l’ordre public exigent un élément tendanciel, visant à « ... Troubler l’ordre constitutionnel » (cf. Art. 573.1.1. C.P.).Il s’agit de préceptes qui, par conséquent, dépassent les limites réduites du concept d’ordre public conçu comme bien juridique autonome. Tout ceci a amené à différentier l’ordre public d'autres concepts tels que celui de paix publique, qui permettrait de construire un bien juridique pouvant être identifié à l’intérêt de la société envers l'acceptation du cadre constitutionnel, des lois et des décisions des autorités légitimes, à titre de présupposé pour l'exercice et la jouissance des droits fondamentaux. 

La protection de l’intégrité territoriale est commune aux constitutions européennes 

Face à l’argument des avocats défenseurs concernant la surprotection de l’unité de l’Espagne, l’arrêt souligne que la protection de l’unité territoriale de l'Espagne n'est pas une extravagance distinguant notre système constitutionnel. Pratiquement la totalité des constitutions européennes incluent des préceptes visant à renforcer l’intégrité du territoire sur lequel repose les États respectifs. Les textes constitutionnels de certains des pays d’origine des observateurs internationaux engagés par le Gouvernement autonome de la Catalogne - lesquels, dans leur déposition en qualité de témoins lors de l'audience, ont censuré l’initiative juridictionnelle visant à empêcher le référendum-, incluent des normes particulièrement sévères. La Constitution allemande déclare inconstitutionnels « les partis qui, du fait de leurs objectifs ou du comportement de leurs membres, cherchant à porter atteinte ou à supprimer l’ordre constitutionnel démocratique et de liberté ou mettent en danger l'existence de la République fédérale d’Allemagne » (art. 21.2). La Constitution française de 1958 s’ouvre avec un précepte à travers lequel il est proclamé que « la France est une République indivisible... » (art.1). « Le Président de la République veille au respect de la Constitution. Il assure (...) la continuité de l'État » (art. 5). La Constitution italienne de 1947 déclare que « la République, une et indivisible, reconnaît et promeut les autonomies locales » (art. 5). Au Portugal, la Constitution de 1976 précise que « l’État est unitaire » (art. 6) et le Président de la République est le représentant de la République portugaise et « ... garantit l’indépendance nationale et l’unité de l’État » (art. 120). 

Aucune Constitution européenne ne se porte garante du droit de décider 

Il n'existe (...) aucun traité international dans lequel le « droit de décider » a été consigné. Tout mouvement de sécession unilatéral au sein d’une société qui s’est appropriée de la Convention des droits humains de 1951 et de la Charte des droits de Lisbonne de 2010 est, par définition, un mouvement antidémocratique, car antidémocratique signifie détruire les bases d’un modèle constitutionnel pour construire une république identitaire dans laquelle le pluralisme idéologique et politique n’est pas garanti. Et, ce, bien qu’il existe une intention de dissimuler le manque de légitimité politique du projet sécessionniste au moyen de la prééminence totalitaire d’un soi-disant principe démocratique qui s’imposerait à l’État de droit. Il n’existe pas de démocratie en dehors de l’État de droit. Si cette prévalence obstinée est poussé jusqu'aux conséquences ultimes, nous devrions admettre que l'application du « droit de décider » pourrait s’imposer à tout moment et dans toute matière règlementée dans le système juridique.  Une société dont la charte fondatrice soumet à la volonté de son Président  la structure même du pouvoir judiciaire, ne peut qu’être construite au moyen du manquement à des principes constitutionnels qui n'auraient jamais pu être modifiés par les voies légales de réforme. Et la recherche obstinée de ce modèle de rupture, en ignorant les exigences formulées par la Cour constitutionnelle, porte atteinte à des biens juridiques des plus hauts rangs axiologiques. 

La transformation du « droit de décider », à titre de faculté indéniable inhérente à tout être humain, en un droit collectif associé à un peuple, impliquera toujours un saut dans le vide. Il n'existe pas de « droit à décider » pouvant être exercé en dehors des limites juridiques définies par la société elle-même. Un tel droit n'existe pas. Sa réalité n’est autre que celle d’une aspiration politique. 

La Chambre ne peut bien évidemment pas accepter le « droit à décider » à titre de thermomètre mesurant la qualité démocratique d’une société. De surcroît, la qualité démocratique d’un État ne peut pas dépendre de l'acceptation inconditionnelle de ce droit. La démocratie présuppose, il est vrai, le droit de vote, mais il s’agit de quelque chose de plus que cela. Elle implique également le respect des droits politiques que le système constitutionnel reconnaît aux citoyens, la reconnaissance des équilibres entre les pouvoirs, l'exécution des décisions judiciaires et, finalement, l’idée partagée selon laquelle la construction de l'avenir d’une communauté en démocratie n'est possible qu’en respectant le cadre juridique qui constitue l'expression de la souveraineté populaire. Il n'existe aucune constitution européenne se portant garante du « droit de décider », tel que le revendiquent de manière réitérée les personnes poursuivies. Aucune cour constitutionnelle de notre entourage n’a reconnu ce droit parmi tous les droits qui font partie de notre patrimoine juridique. 

Un droit à l’autodétermination ne correspondant qu’à une partie des citoyens : celle qui s'est laissée séduire par les appels du Gouvernement catalan et d'autres agents sociaux et politiques à une votation faussement présentée comme légitime. Un soi-disant droit qui impliquait la mise à l’écart et le mépris d’un autre partie très importante des citoyens - pour lesquels il s’agirait d’une hétéro-détermination ou d’une détermination forcée -, qui ont choisi de ne pas participer à cette convocation étant donné qu’ils la considéraient fantaisiste, illégale et aussi selon toute vraisemblance illégitime. Une présentation des choses comme un conflit entre la loi et la légitimité est simpliste. Il s’agit d’un conflit entre le concept de légitimité de certains - plus ou moins, mais pas de tous, même pas de la majorité - et une légalité que de nombreux autres - pas nécessairement moins-, considèrent également comme étant légitime. Finalement, l’intention était d’imposer et de faire prévaloir ce qu’un secteur - plus ou moins important, nous ne nous trouvons pas face à un problème quantitatif - considérait légitime, non seulement sur une légalité contradictoire par rapport à cette conception de ce qui est légitime, mais aussi sur ce que de nombreuses autres personnes considéraient légitime, conforme à la justice et en outre justifié par une légalité démocratique qui est ignorée. Il ne s'agit pas de la légitimité contre la légalité. Il s'agit d’un conflit entre les conceptions partielles de légitimité de certains et les convictions d’autres qui, en outre, ont le soutien de lois et d’une Constitution approuvées à la suite de processus légaux conformes à tous les standards démocratiques et, bien évidemment, susceptibles d’être modifiées dans le cadre de procédures légales. 

Le concept de souveraineté, bien que l’on tente de souligner son caractère polysémique, continue d’être la référence légitimant tout État démocratique. Il est vrai que nous sommes face à une transformation de la souveraineté, qui abandonne son format historique de pouvoir absolu et se tourne vers une conception fonctionnelle, adaptée à un processus de globalisation imparable. Mais malgré les transformations, la souveraineté subsiste et n’est pas neutralisée au moyen d’une structure juridique construite à partir d'actes de désobéissance obstinée à la Cour constitutionnelle. La construction d’une république indépendante exige la modification forcée du sujet de la souveraineté, c'est-à-dire la mutilation anticipée du sujet ordinaire du pouvoir constituant, exprimant la base sociologique de tout État civilisé. Le « droit de décider » ne peut par conséquent être construit qu’à partir d’un défi politique permanent qui, se servant de voies de fait, attaque à maintes reprises l’essence du pacte constitutionnel et, avec elle, de la cohabitation démocratique. 

La recherche d’une règlementation couvrant ce défi, loin d’alléger sa gravité, l’intensifie, dans la mesure où elle transmet aux citoyens la fausse croyance selon laquelle le système juridique soutien la viabilité d’une prétention irréaliste. Et les responsables politiques proclamant ce message étaient - et sont toujours- conscients, malgré leur dissimulation stratégique, du fait que le sujet de la souveraineté ne peut être ni déplacé ni limité au moyen d’un simple énoncé réglementaire. L’expérience historique prouve que la démolition des fondations du pacte constituant ne se produit pas au moyen de la succession formelle de préceptes. 

Du point de vue exposé, il n’est pas possible de parler de collision de principes - principe démocratique et principe de légalité - comme antagoniques, car le premier n’a aucun contenu en dehors d’une loi lui donnant un sens précis et la structure de garantie nécessaire. 

Juge impartial 

Il y a eu au moins sept incidents de récusation à l’encontre de neuf magistrats de cette Chambre. La remise en question de l’impartialité des magistrats qui composent cette Chambre a été incessante et très éloignée du sens procédural de la récusation comme un outil pour garantir l’impartialité judiciaire. Les circonstances des uns et des autres, qui prouvent qu’ils ont été présents tout au long du procès, ont amené les parties de la défense à mettre en place une stratégie de « diabolisation » de la Deuxième Chambre de la Cour suprême espagnole. Cette idée a été présente jusqu’au dernier instant du déroulement de l’audience, au cours de laquelle certains des accusés se positionnaient toujours en qualité de victimes d’un procès politique, sans oublier celui qui est allé jusqu’à considérer que sa mise en accusation ne se justifiait que par son nom et son prénom. La récusation des membres de la Chambre est devenue de ce fait une routine, à laquelle il a été recouru de façon opiniâtre pour en faire un outil de délégitimation de la Cour suprême espagnole. 

Désobéissance civile 

La désobéissance civile est considérée comme un patrimoine inaliénable dans toute culture politique mâture, une amélioration de la qualité morale de la société ainsi que l’expression même d’une éthique de la dissidence. La désobéissance apparaît ainsi comme un mécanisme stimulant et indispensable pour ne pas tomber dans le piège d’une démocratie médiocre qui se complait dans le conformisme sympathisant. D’ailleurs, la majorité, en tant que source forcée de légitimité démocratique, ne garantit pas toujours la justice de ce qui a été convenu par la majorité. De ce fait, la désobéissance civile, qui se comprend comme l’extériorisation publique de la dissidence et la revendication d’un besoin de changement, joue un rôle précieux qui vise à interpréter de nouveau ce qui a été considéré majoritairement comme étant le bien commun. Aucun texte constitutionnel n’est parfait. Le présenter comme un bloc juridique hermétique et fermé à toute proposition de révision est contraire au sens intrinsèque du pacte constitutionnel. Les consensus éternels n’existent pas, et les sociétés qui assentissent en permanence non plus. 

Or, si face à toute décision de justice, nous pouvions parvenir à admettre que quiconque soit en désaccord et la considère injuste, a la capacité d’entraver son exécution : quelle protection serait donnée à ceux qui pourraient bénéficier de cette décision ou à ceux qui l’approuvent et la considèrent juste ? Une approche absolutiste de ces idées ou convictions, qui permet dès lors d’ignorer les pouvoirs publics légitimes, se retrouve à condamner ceux qui se situent aux côtés de la loi en les traitant comme des citoyens de seconde zone. Les idées de celui qui désobéit civilement s’imposent à celui qui se soumet à la loi et à ce que l’autorité judiciaire (ou de tout ordre) ordonne. 

Personne ne peut s’arroger le monopole d’interpréter ce qui est légitime, en abaissant au niveau d’illégitime celui qui ne partage pas ses idées quant à l’autodétermination, même s’il fait valoir pour se justifier la primauté de l’exercice du droit à la désobéissance civile. Les arguments avec lesquels la dissidence est prétendument justifiée, ne peuvent être utilisés ni pour vaincre celui qui pense différemment, ni pour s’imposer à la légalité, en se fondant sur la revendication exclusive d’une légitimité supérieure. De la même manière, les autres citoyens qui expriment des points de vue divergents sur la question territoriale jouissent des mêmes droits. Et en ayant recours aux mêmes méthodes, aussi bien au niveau du tissu social que de celui de la politique institutionnelle, il est impératif de respecter leur capacité et leur droit d’opposer à ces idées d’autres idées, qui pour eux, sont celles qui incarnent la légitimité. Pour parvenir à ce que ces idées respectives, plurielles et divergentes concernant ce qui est légitime et juste se reflètent dans l’ordre juridique, des procédures doivent être mises en place tel que convenu par tous les citoyens et qui se trouvent consacrées par la Constitution espagnole et par les lois, qui ne sont pas inaltérables mais qui peuvent être modifiées en application des processus démocratiques qui font en sorte de garantir que les idées d’une minorité ne viennent pas s’imposer à la majorité. Et, en même temps, que les majorités ne portent pas préjudice aux droits des minorités. 

Lorsque les espaces régis par la législation pénale sont envahis par des interventions encouragés par un désir, non seulement d’extérioriser la dissidence (qui peut se fonder sur des convictions profondes), mais aussi de parvenir à réformer la légalité (ordinaire ou constitutionnelle) pour qu’elle soit conformée à certaines idées ou souhaits, il faut accepter que ce même ordre juridique fasse usage des ressources prévues et dont il est doté afin de se défendre face à des pratiques, qui ne manquent plus de protection, mais qui se trouvent en opposition et en rébellion manifestes face à la légalité. 

Liberté idéologique et droit de réunion 

La Chambre est bien sûr d'accord sur le fait que la liberté idéologique non seulement couvre mais protège aussi la revendication du droit à l'autodétermination. Les partis politiques sous les couleurs desquels (...) se sont portés candidats lors de différents processus électoraux (certains des accusés), défendent, par l’intermédiaire de leurs représentants, avec la normalité la plus absolue, au Parlement, dans les médias et chaque fois qu'ils le considèrent comme opportun, la légitimité démocratique du droit à l'autodétermination. Soutenir que la raison de l'accusation et condamnation a comme substrat factuel le simple fait de défendre l'autodétermination de la Catalogne ne peut être considéré que comme un exutoire rhétorique, aussi légitime du point de vue du droit de la défense qu'inacceptable en termes juridiques. 

Ce qui s'est passé le 1er octobre n'a pas seulement été une manifestation ou un acte massif de protestation citoyenne. Si cela avait été le cas, il n'y aurait aucune réaction pénale. Ce fut un soulèvement encouragé par les accusés, parmi beaucoup d'autres personnes, afin de convertir en lettre morte -en utilisant les voies de fait et force physique- les décisions judiciaires de la Cour Constitutionnelle et du Tribunal Supérieur de Justice de Catalogne. Il n'y aurait rien à reprocher si l'intervention avait été réalisée lors de concentrations de masse, protestations de masse, manifestations avec des slogans durs et combattifs. Tout ceci est non seulement protégé mais aussi encouragé par le texte constitutionnel et l'esprit qui l'anime. Mais ce que ne peuvent pas tolérer notre Constitution et la Loi Fondamentale d'aucun État démocratique est de subordonner l'une des exigences les plus élémentaires de l'État de droit, c'est-à-dire le respect de la décision d'un Tribunal -qui n'est ni une adhésion, ni des applaudissements, ni une immunité face à la critique- à la volonté d'une, dix, mille, plusieurs milliers ou millions de personnes. Surtout lorsqu'il y a également le même nombre de citoyens qui font confiance à cette décision, la respecte et même la partage, et qui veulent croire qu'eux aussi seront protégés par l'État de droit. 

Les cris revendicatifs ou la protestation enflammée face aux décisions de n'importe lequel des pouvoirs de l'État font partie du contenu matériel du droit de réunion. Taxer des arrestations d'injustes ou illégales et le faire publiquement lors d'une concentration de citoyens est totalement couvert par l'exercice du droit de réunion que l'article 21 de la Constitution espagnole proclame et reconnait. La défense passionnée de l'indépendance de la Catalogne fait partie de la normalité démocratique. Demander lors d'une concentration que l'administration de la justice soit composée uniquement de juges catalans est une affirmation protégée par la liberté d'expression. (...) 

Cependant, le 20 septembre 2017, ce qui a eu lieu n’a pas été une concentration citoyenne pour protester contre les arrestations et perquisitions qui étaient réalisées depuis les premières heures de la matinée, en application de différentes décisions rendues par le juge d'instruction numéro 13 de Barcelone. Les leaders associatifs savaient -et ils l'on fait savoir lors de leurs interventions et consignes- que la Garde Civile avait l'obligation légale de transférer les personnes arrêtées à l'endroit où la perquisition allait être réalisée. Ils étaient pleinement conscients qu'une commission judiciaire, composée de la Conseillère de l'Administration de la Justice et dont faisait partie plus d'une dizaine d'Agents de la Garde Civile, tentait d'obtenir les sources de preuve qui avaient été requises par le magistrat ayant ordonné les entrées et perquisitions. Ce qui a motivé l'intervention des accusés était le fait de démontrer à la société toute entière, d'une forme totalement acceptée et autorisée par les responsables gouvernementaux, que les juges et magistrats qui exerçaient leur fonction constitutionnelle en Catalogne avaient perdu la capacité d'exécuter leurs décisions.

 Détournement 

Le jugement absout Rull, Forn, Vila, Mundó et Borras du délit de détournement de fonds publics que leur attribuent le Ministère Public, le service juridique de l'État chargé des procédures juridictionnelles (Abogacía del Estado) et l'accusation populaire. Il est vrai qu'ils ont tous souscrit le décret gouvernemental qui a annoncé la prise en charge solidaire de toutes les dépenses qui ont été engagées par le Gouvernement catalan pour la réalisation du référendum. Mais la complicité exige, comme hypothèse conceptuelle acceptée par la jurisprudence de cette Chambre, quelque chose de plus que l'accord préalable des volontés à commettre un délit. 

Il est indispensable que le coparticipant réalise des actes matériels, nucléaires ou non, d'exécution. Or il n'a pas été confirmé -malgré l'effort, par les accusations, de le prouver- que la Ministre Mme Borras ou les Ministres Messieurs Forn, Rull, Vila et Mundó aient mis la structure des ministères qu'ils dirigeaient au service des dépenses concrètes justifiées pour la célébration du référendum illégal. Certains d'entre eux, comme quelques témoins l'ont allégué, ont même donné des ordres spécifiques de ne pas utiliser les postes budgétaires pour la consultation prévue le 1er octobre. C'est le cas, en particulier, de Messieurs Vila et Mundó, ainsi que de Mme Borrás. Et ceci est la différence par rapport aux membres du Gouvernement catalan qui vont être condamnés pour ce délit car ces derniers ne se sont pas limités à une extériorisation partagée de leur volonté de se soustraire au contrôle financier propre aux sociétés démocratiques, ils ont également exécuté des actes concrets de gaspillage économique qui n'était rien d'autre que la véritable expression de leur déloyauté. 

Requête du Procureur d'exécution de la moitié de la peine imposée pour la classification des condamnés au troisième degré de traitement pénitentiaire 

La Chambre considère que cette faculté ne peut pas être interprétée comme un mécanisme juridique permettant d'éviter de forme anticipée des décisions de l'administration pénitentiaire qui ne seront pas considérées conformes à la gravité de la peine. Ces décisions ont une voie de recours ordinaire et peuvent faire l'objet de révision. L'article 36.2 du Code Pénal attribue du tribunal de jugement la faculté d'effectuer un pronostic de dangerosité qui protège les biens juridiques qui ont été violés par le délit. Et il faut répondre à la requête du Procureur uniquement sous cette perspective. Les accusés ont également été condamnés, en plus des peines privatives de liberté associées au type pour lesquels la condamnation est formulée, à des peines d'interdiction absolue qui excluent leur éligibilité et leur capacité à assumer des responsabilités telles que celles qu'ils exerçaient au moment de la commission du délit.

 En définitive, la capacité juridictionnelle de réviser des décisions administratives dans le cadre pénitentiaire qui soient considérées comme contraires au droit est la meilleure garantie que l'exécution des peines sera toujours conforme à un pronostic individualisé d'exécution et de progression. Le rôle principale que notre système juridique attribue au Procureur pour réagir aux décisions contraires à la légalité qui doit inspirer l'exécution des peines privatives de liberté, donne une garantie supplémentaire qui justifie notre réponse.